À la rencontre de
Entretien avec Nelly Mousset
Dans le cadre de la sortie de son 1er album, nous sommes allés à la rencontre de la musicienne Nelly Mousset qui fêtera cette sortie le 16 novembre prochain au Confort Moderne. Plus d'infos
Entretien audio retranscrit à l'écrit 🗣️
Peux-tu te présenter ?
Je peux commencer par dire que je suis contrebassiste et improvisatrice. C'est quelque chose que je pratique depuis 15 ans maintenant. Que je vis dans le Limousin à la campagne depuis 4 ans – ça me tient à cœur – c'est un endroit où j'ai grandi. Que depuis le départ, je pratique l'improvisation très en lien avec la danse. Que c'est un peu un accident pour moi d'être arrivée sur une contrebasse, c'était pas prévu. C'est une joyeuse, une joyeuse rencontre. Un joyeux accident.
C’est important aussi de dire que j’ai fait le CFMI de Poitiers (le Centre de Formation des Musiciens Intervenants) qui est orienté à la fois sur les musiques traditionnelles et sur les musiques improvisées, qui sont des musiques de transmission orale avec pour but de pouvoir transmettre la musique aux enfants.
Pour moi, ça a vraiment été une accroche très forte à ce moment-là. C'est venu confirmer quelque chose qui était là en moi en souterrain : une approche de la musique assez libre et assez spontanée. Quand je suis arrivée j’avais quelques bases en musique mais peu et donc une certaine légitimité à trouver dans cette pratique. Le CFMI m’a permis aussi de rencontrer plein d'artistes musiciens qui pratiquent ces musiques-là. Cela m'a conforté sur cette pratique qui est une pratique très riche artistiquement mais humainement aussi. Les deux sont intimement liés.
Il y a eu un point de bascule marquant dans ta rencontre avec la musique improvisée ?
En fait, c'est comme si je la pratiquais déjà, mais sans penser que c'était légitime de faire ça. Rencontrer des musiciens dont c’est le métier et le fait de se dire que ça peut être hyper pédagogique d'apprendre aux enfants à faire de la musique, c'est légitimer le fait que la musique est possible pour tout le monde et que tout le monde peut être musicien·nes à partir du moment où il écoute ce qu'il fait. Par l'intermédiaire de la danse, j’avais déjà rencontré l'improvisation lorsque j’ai commencé la danse contact et rencontré les danseurs du collectif Zone d'Appui Provisoire qui pratiquaient comme ça des jams d'improvisation. Dans la danse, il y a vraiment une tradition libre qu’on connaît peut-être moins. J’étais déjà dans cette pratique via la danse et le CFMI m’a permis peut-être de la légitimer et de faire beaucoup de rencontres.
Si on parle de point de bascule précis, je pense tout de suite à un concert que nous étions invités à aller voir en tant qu’étudiant à l'époque de Jazz à Poitiers au Carré Bleu. C'était un trio d'improvisateurs : Lê Quan Ninh, Paul Rogers et Michel Doneda. C'est un concert qui m'a vraiment marquée. Il y avait aussi ce livre de Lê Quan Ninh sur l'improvisation : Improviser librement, abécédaire d'une expérience. J'ai plongé dedans, ça m'a suivi jusqu'à mon mémoire au CFMI. C’est vraiment un souvenir fort, d’un moment qui vient résonner et qui t'attrape dans le corps. J'ai le souvenir de Lê Quan Ninh qui lance un caillou dans la salle. J'étais là : « Waouh, mais on peut faire ça ! ». On avait aussi des cours avec Dominique Pifarély d'improvisation et de composition. Les rencontres diverses sont venues aussi encourager des choses qui étaient déjà là en moi.
Qu'est-ce qu'on programme pour la soirée de lancement de son premier album ?
C'est très chouette parce que Renaud, programmateur de Nage Libre, m'a laissé carte blanche. J’ai réfléchi un moment, mais j'avais très envie de promouvoir le travail que j'ai mené avec une amie qui est danseuse et dont j'ai été regard extérieur sur la création de son solo. C'est une pièce qui s'appelle Brèches. Un solo pour l'extérieur – extérieur/intérieur, entre l'intime et l'extime. C'est une personne avec qui j'ai beaucoup échangé sur l'improvisation. Elle a aussi été regard extérieur sur une précédente proposition de solo que j'avais aussi joué chez Nage Libre plus dans le mouvement avec la contrebasse.
Donc voilà, ça faisait sens pour moi qu'il y ait de la danse parce que je pense vraiment que ça fait partie de mon approche sur l'instrument. Et puis après, j'avais envie que ce soit la fête : c'est quand même la première fois que je fais ça, et que ce n'est pas rien de sortir un CD de son travail ! Il y a Josué Filloneau* qui nous fera le plaisir de nous faire danser !
*Ambianceur de haute qualité à ses heures perdues et technicien assidu de Nage Libre
Tu l'as dit, c'est l'aboutissement d'un long processus créatif que tu mènes depuis plusieurs années. Tu es notamment venue plusieurs fois en résidence ici. Tu peux nous parler de cet album ?
Alors oui, ça fait un petit moment que j'ai envie de chercher en solo. C'était une nécessité pour moi de comprendre ce que je fabrique moi-même pour jouer avec les autres. C'est drôle parce que c'était Matthieu Périnaud, alors directeur de Jazz à Poitiers, qui m'avait sollicité en me disant : « mais tu devrais enregistrer quelque chose ! » C'était il y a plus de 10 ans je pense... Et à ce moment-là, j'avais pris peur. Je lui avais dit : « Waouh, je ne sais pas du tout ce que je pourrais enregistrer. Pour l'instant c'est trop vaste, c'est pas défini. ». Le temps a passé et le jour où Eric Fessenmeyer de la Compagnie de danse La Cavale m’a appelé pour travailler sur leur nouvelle création, il m’a demandé si j’avais des choses à faire écouter. Je lui ai dit « Ah mais non… j'ai des choses mais qui ne sont pas propres, enfin pas officielles... » . À ce moment là ça m'a boosté ! Je me suis dit que j'avais besoin de faire entendre ce que je faisais. Nage Libre m'a accueilli en résidence pour ça. L'enregistrement m'a permis de mieux comprendre ce que je faisais, de mieux le lire. Sur 5 heures d’enregistrement d’improvisation, j’en ai gardé 35 minutes. Cela m’a servi d'exercice aussi pour comprendre davantage ce que je crée. Je sais pas si j'ai encore compris pour le moment, mais en tout cas c'est un extrait, une image à un moment donné.
Il y a un label qui accompagne cette sortie ?
Oui, il va sortir sur le label qui s'appelle Le Petit Label en 2026. Ils ne pouvaient pas le produire en physique pour la date de la release party donc, on va faire une petite série faite main, autoproduite de A à Z avec les copains.
Je rebondis un peu sur le nom de cet album qui s’intitule Chiendent. C'est hyper organique, c'est très lié à l’animal aussi parce que le nom vient notamment de ses rhizomes qui ont des formes de canines. C'est important pour toi ce lien à la faune et la flore ?
Ouais tu as bien cerné le truc. C’est dur de trouver un nom, mais ce mot m’a attrapé au détour d'une conversation. Il y a ce truc organique, il y a beaucoup de choses dans ce mot. Il y a l'animal qui apparaît, il y a les chiens, il y a les crocs, il y a les dents. Je sens ça à l'intérieur de moi, il y a un animal comme ça à l'intérieur de moi, avec les dents et les crocs ouverts. C'est une herbe, une mauvaise herbe pour moi qui ai grandi à la campagne et qui suis fille d’agriculteur ça a du sens. Il y a ce truc très fort avec les mauvaises herbes qu’on arrache et qui poussent comme du chiendent. C’est une image puissante et je me suis dit “mais en fait ce que je fabrique ça pousse comme du chiendent”. Tout ce que je crée c'est plus fort que moi, je ne sais pas ce qui me pousse à le faire, mais ça a besoin de sortir en tout cas. Je trouve que c’est une belle image. Et je suis repartie vivre là où j'ai grandi, je pense, ce n'est pas rien. Il y a quelque chose qui va avec la nature, avec l'environnement qui est autour de moi.
On évoque ici ton solo, mais dans nos échanges on parle aussi beaucoup d’humain. Tu es très active au sein du PoCollectif, c'est important pour toi d'être partie prenante et cheville ouvrière sur des projets comme ceux-la ? Pour toi, il est important d’être active pas seulement en tant que musicienne ?
Oui c'est interdépendant, j'ai envie de dire. Cela ne peut pas exister l'un sans l'autre. Même le fait d’assumer une proposition solo, ça ne pourrait pas se faire sans tous les copains derrière, toutes les copines surtout, mais les copains aussi. On a vraiment besoin de cette énergie collective qui renforce en ce moment. De toute façon, cette musique-là, elle se pratique dans la rencontre. Ça ne peut pas être autrement je crois. C’est super important et je ne saurais pas nommer ce qui se joue, ni comment expliquer tout ça.
Peut-être parce que ces musiques ont aussi une emprise sociétale faite de rencontres et de partage ? Si on pense au PIL (PoCo Improvisation Laboratoire) c’en est un très bon exemple, non ?
Oui carrément, c'est un projet qui n’est pas une création artistique, c'est vraiment un espace-temps où les gens viennent pour se rencontrer et pour pratiquer, pour parler et pour échanger et où du coup, ça devient un vivier de réflexion d'humanité partagée. Ça fait 5 ans que ça dure et c’est précieux, c'est hyper précieux. En même temps, il y a quelque chose qui m’échappe là-dedans, je ne sais pas à quoi ça tient… Probablement à pas grand-chose. Ça tient à des énergies humaines, à quelque chose de simple aussi. Il n’y a pas d’enjeux là-dedans si ce n’est celui de se rencontrer, de parler, de vivre quoi. Et c’est comme dans la vie, on n’est pas forcément d’accord sur tout, mais c’est justement le lieu pour en parler.
Petit pas de côté, tu écoutes quoi en ce moment ?
Ah, c'est drôle, j'aime bien cette question ! Alors je n'écoute pas souvent de musique parce que j'ai des acouphènes et ça me prend un peu la tête. Mais dernièrement j'ai beaucoup écouté Marissa Anderson. Je suis un peu sur la folk en ce moment, d'une manière un peu large. C'est quelque chose qui me fait du bien, quoi. Marissa Anderson que j'ai découvert par Tatiana Paris quand elle est venue jouer, elle en a parlé à la fin de son concert quand elle est venue jouer à Bruisme. Et wah j'adore ! C'est une guitariste américaine qui joue en solo avec une guitare électrique.
Un livre à recommander ?
J'ai toujours celui-ci qui traîne sur ma table de chevet : "puissance de la douceur" d'Anne Dufourmantelle, qui me porte juste par son titre et dans lequel j'aime piocher de temps en temps... Et là je l'ouvre et tombe sur le chapitre "Animale"... (ma pochette de disque, c'est une gravure d'un bouc, tiré d'une photo que j'ai prise un jour en tombant face à face avec lui au milieu de la forêt. Je l'ai revu plusieurs fois, il habite dans la forêt à côté de chez moi...)
...Animal, puissance, douceur... Chiendent quoi !
