Sac de nœuds et têtes de pont. The Bridge avance, jamais masqué, toujours sur la corde raide. « L'une des grandes joies de la musique improvisée réside dans les nouvelles relations qui se nouent à travers le son et qui se transforment en liens humains durables », confie Jeff Albert, tromboniste et un des cinq musiciens de cette version 2.13 du dispositif transatlantique. Une paire d'années désormais, que l’excitation tient la dragée haute à l’inconnu, et avale toute prédiction jusqu’à marée basse. Qu’est-ce qu’il en sera ? On ne sait. Enfin presque. À lire le line-up de ce nouvel ensemble, on imagine que le jazz y sera très libre, consolateur et impatient. Trois excellentes raisons pour circonvenir à toute volonté de bien entendre. Nouveau match France-Chicago. Pagailles arrangées et re-découvertes très classes.

Voici un des meilleurs représentants de l’axe tournant entre tradition et modernité, une pointure du trad expé. Trad expé ? Le folklore qu’on n’imprime pas sur cartes postales ni dans l’oreille des touristes, le patrimoine sans flonflon ridicule ni jupons mignons. Un truc organique qui a su rester en vie. Sourdurent respecte la forme traditionnelle mais piste délicieusement la tension et l'explosion sonore. C’est bien ainsi, aimons-nous vivants. Avant que la mort nous trouve du talent.

En bon troubadour, David Grubbs est à l’aise avec le monde entier. Tous les lieux sont bons pour ces concerts, grande salle comme café serré. Toujours très proche de l'auditeur, ça c'est primordial, pour toucher et transmettre. Songwriter-chroniqueur sauce américaine, la chanson est connue. Grubbs en connaît aussi les débroussaillages possibles et la source de toute émotion. Son dernier disque en poche, Grubbs parcourt sa route, avec sa guitare à la main, peur de rien.

Ça ressemble à du metal, mais c’est pas du metal. Pas pour autant à ranger dans les caisses du hard jazz Canada Dry, la musique du duo. Gros son, oui. Mais on headbangue au-delà des genres et des répertoires. Dans un jumelage peu courant, Killing Spree se forge un son cossu mais sans recours à l’instrumentarium du genre. Le sax explore des sonorités hardcore, et la batterie ouvre en grand les structures de jeu et les improvisations. Densité, intensité, inventivité.

C’est génial et c’est contagieux. Au foot, France-Italie, c’est toujours un peu nul. En musique, c’est bien mieux. Beaucoup mieux. Pas mieux. Ah si, peut-être ajouter que le duo lance ses fusées psychés depuis un combo batterie-claviers plutôt halluciné. Hallucinant, aussi. Tant Zohastre tire de son cosmos personnel, des cadences extatiques, des ondes sonores implacables. Héloïse et Olmo vous poussent, sans trembler, à la danse sur des rythmes expés et très noise.

Avec la complicité de l’OH / Le Confort Moderne

avec l’association Ponts et Sentiers 

Une heure trente – du matin – fin de soirée – musicale – nuit – noire – avec extinction – lumineuse – revenir chez soi – du moins en centre-ville – marcher – toujours à pied – pendant une durée (d’environ) une heure trente.
Chaussures adaptées et lampe torche conseillée 
 

Plus quincaillerie que gamelan tradition, cette version 2 de Nist-Nah. Et c’est une jolie chose. Avec de nouveaux éléments percussifs greffés sur le set de base de l’instrument de percussion originel balinais, les mini-hypnoses sont encore plus ouvertes, plus larges et plus imparables. De quoi être sonné par ces 8 sonneurs de cet ensemble mené par le batteur Will Guthrie. Ensemble 100% nantais. Comme le P’tit Lu. Mais avec moins de miettes quand on croque à pleines dents dedans.

Imaginez une mini-tragédie dark. Une performance totale sans concession dont vous seriez les témoins. Haut perchée pour mieux descendre vous frotter les entrailles. Longs silences gardés comme reliques au mont de piété, kinétoscopes lumineux et artisanaux, frappes massives et accords monstrueux. Et dans la conjonction des éléments scéniques et sonores animés par 6 artistes, il a y une très belle façon de faire du commun : radicale, donc très vivante. Ce qui n’est pas rien, aujourd’hui.

Avec la complicité de l’OH / Le Confort Moderne

Pas besoin de guillemets. Rien Virgule ne donne pas dans la citation mais dans la singularité. Tout est dit clairement. Depuis 2012, voix, percus et claviers se taillent des ballades en rapprochant les codes de la pop des perspectives sonores et des timbres de la musique improvisée. On éteint les vacarmes vaporeux, et on allume des chansons électroniques pour éclairer le monde d’un jour nouveau. Cette pop est expé, cette pop est onirique. Délicatement têtue, entêtante parfaitement.

La Cavale : Intervalle Fessenmeyer / Dumas x Marina De Caro

La Cavale propose depuis 2023 leurs Intervalles, trois formes courtes en duo composées d'un·e danseur·se et d'un·e musicien·ne, explorant la relation si particulière que musique et danse entretiennent. En rapport avec la notion d’expérience corporelle et sensible propre à la démarche de l’artiste Marina de Caro, l’Intervalle Fessenmeyer / Dumas est invité à prendre place au sein de son exposition.       
Suivi d’une visite commentée de l’artiste.

Avec la complicité de l’OH / Le Confort Moderne

Bien plus assurée que la semaine des quatre jeudis, cette session à quatre mains. Tout aussi fantasque mais sérieusement plus profitable à celleux qui écoutent. Réunies sur l’axe des Symmetries de Tom Johnson,Sophie Agnel et Barbara Dang poursuivent leurs explorations, à la jonction de l’improvisé et de l’écrit. Meublé simplement, un seul piano à queue pour deux musiciennes, leur laboratoire, capot ouvert, invite Mompou, Morton Feldman ou encore cette grande prêtresse de l’amusement sérieux et volubile qu’est Carla Bley. De quoi accompagner royalement les deux présences mises en jeu. Se gêner ? S’épauler ? Se guider ? Les corps offrent de multiples réponses. Joué dans l’Entrepôt, au cœur de l'expo du moment, ce solo à deux têtes et vingt doigts devrait multiplier les plaisirs spontanés. 

Énergie directe et ultra puissante, pour ce power trio. Deux violons rageurs pour revisiter le rock façon minimal-psyché, une batterie massive pour enfoncer le clou. Et avancer, par secousses, répétitions et salves supersoniques, balancées à hue et à dieu. Marteaux, sans maître, les trois activistes ont la folie cogneuse. Alliant le doom metal à l’électroacoustique, la danse joyeuse à la décharge la plus furieuse. « C'était une odeur de monde qui naît ou qui meurt, une odeur d’étoiles. », avouait Barjavel dans son roman, Ravage. Ce Ravage-ci les connaît lui aussi, ces mondes de vie et de mort qu’induit toute improvisation collective. Quant aux odeurs d’étoiles, loin d’être douteuses, elles sont bigrement doublées de fragrances de soufre et de cave à charbon.
 

Sur le marché des energy-drinks, ce sont les Monstres qui imposent l’insomnie. Ici, les monsters naissent d’une baisse de vigilance. Politique, The Sleep of Reason Produces Monsters ? Forcément un peu, puisqu’il s’agit de bon gros free. Très accueillant, cependant. Ce quartet insurrectionnel créé par Mariam Rezaei convoque l’élégance punk de l’improvisation singulière pour démonter les codes du jazz, du bruitisme, du hip-hop-technoïde. Histoire de créer son propre maelström sonore. TSORPM avance avec une fière énergie et de petits signes entre musicen·nes pour s’engager dans une aventure sonore commune. Paritaire et organique. Lettrée, aussi. Le quartet tire son nom d’une gravure de Francisco de Goya, dont le titre fait tristement écho à nos temps modernes et à leur besoin d’être gentiment secoués. C'est puissant, oui, mais d'un puissant léger.

S’il suce des bonbons flammes depuis quelque temps en France, Luís Lopes est aussi taulier du label lisboan Clean feed et guitariste. C’est cette dernière carte de visite qui nous intéresse avec le quartet Humanization. Classe internationale. Furie jouissive. Musique physique. La chaleur des improvisations de cette réunion portugo-texane dépasse de loin l’image d’une paire de Santiags à la plage. Pas de cowboys, encore moins de dilettantisme. Les thématiques, depuis longtemps éprouvées sur la route, se cantonnent certes à quelques éclats mais leur développement en impro empruntent des voies dont l’intensité fourmille d’idées et d’échanges. Punk rock ou free jazz, tranchez si vous le souhaitez, ce que Luís Lopes et sa petite bande découpent, quant à eux, c’est toute aspiration au confort.

« J’ai des mots à te dire à l’oreille qui te rendront muets », écrit Hamlet à Horatio. Des secrets du genre, la panoplie des tournées franco-chicagoanne The Bridge en aura laissé dans plus d’un tympan. Rendus au mutisme, les auditoires l’ont été sans doute, par ce qui se joue de très beau entre les musicien·nes assemblé·es : une solution aux déboires du monde, des pistes pour s’inventer soi-même. La version 2.12 des réunions transatlantiques empruntera les mêmes chemins d’invention, sans cesse renouvelés. Les cinq improvisateurs à l’œuvre ici sont non seulement de généreux observateurs de notre présent, mais aussi de fieffés constructeurs-déconstructeurs de dialogues imaginaires. Les entendre, c’est amasser quelques secrets, de musique et de silence, sur ce que vivre ensemble et au présent peut bien vouloir dire. Rien d’inhabituel ni d’inaccessible, en somme. Juste de quoi se laisser porter par la vague.

Voici de l’impro dans les règles de l’art. Trois musicien·nes en joie et en prise avec une liberté absolue. Trois personnalités douées d’une écoute féroce. Tizia Zimmerman, à l'origine de ce trio, embarque deux Chris. L’accordéon débat sans arme ni peine avec le sax de Pitsiokos et la frappe de Corsano. Côté musique, on tape dans la forme habituelle d’une enveloppe sonore élargie peu à peu, où la vibration commune finit par pulvériser, avec une classe certaine, les bordures du cadre. Les strates de musiques se superposent, s’entremêlent dans un bazar splendide qu’on pourrait voir plier sans rompre. Ce trio a l’obsession volontaire et amicale. Les tensions créées s’offrent ainsi : uniformes et monolithiques. Mais. Pas du style des monolithes s’imposant dans les clairières bretonnes, mais ceux qui ont la classe du marbre italien. Avec des veinures qui éclairent, sillonnent et finissent par vous zébrer l’œil de mille inventions.