À chacun son idée du don de soi. Je te donne, chante encore et toujours Michael Jones. Prends bien ce que tu voudras et laisse le reste à d’autres, corrige Darius Jones. Le saxophoniste, à la tête d’un trio aussi lyrique qu’incendiaire, ne conçoit la musique que comme un échange à plusieurs. Le genre de truc qui soigne, guérit, fait grandir l’autre et enrichi son propre répertoire tiré de la Black Conscience. Compositions personnelles de Jones, ou arrangements de chant issus du corpus des chang gang songs, récoltées en leur temps dans les prisons du Mississippi par Alan Lomax. Base classique, sax, basse et batterie. Impro et compo versus copro. L’identité est génialement nébuleuse volubile et hyper active dans le trio mené par le sax alto. Vibratoire, intérieure et fraternelle, aussi.

Trio augmenté de cinq musiciens. Soit 8 possibilités franco-suisse de dérivations sonores de la musique trad vers les terres obscures de la musique improvisée. La Tène a le sang noir, la Tène a le sang chaud, la Tène a le sang épais. Et dans ses remous et ébullitions, fourmille tout un monde façonné à la main et livré la tête haute. Bourdons psychés, frappes minimalistes, énergie maximaliste comme autant de repères pour se perdre avec délices.

Remuant lui aussi, le duo Mélanie Loisel et Rachel Langlais. Magnifique dans sa simplicité apparente, cubiste dans son primitivisme entêté, volubile dans ses flottements atmosphériques. On passe du cajun dégingandé au sommaire forgé à cru, de l’élégie éclairée à la valse désaccordée. Comme les déséquilibres font aussi partie des règles de notre vieux monde, cette musique chancelle comme le font nos âmes à l’écoute.

Chiendent a les crocs amicaux, amigo. Si vous tenez au speed hargneux, allez réécouter les solos de Steve Vaï. Dans son urgence, ce solo-ci, c’est cela : douceur, écorce, et rebonds. Un corps à corps, fait de bois et d’animalité secrète, entre une contrebasse et son instrumentiste. C’est un solo dense pour une release party très relaxe, où frictions et mouvement inventent ensemble une forme naturelle et émouvante. Tender Surrender.
 

Dans les brèches de Brèches, on teste les limites. Du béton, de l’asphalte, des feuillages. Mais à l’inverse des sauts de cabris des yamakasi. La limite ici, est celle de la sensibilité. « Pas plus pas moins », ajouterait Carine Desset, chorégraphe et danseuse de ce solo urbain. Pas moins qu’une relecture de la ville devenue décor, pas plus qu’une visite humble aux constructions et passants qui nous précèdent et nous survivront. 

Josué Fillonneau : ambianceur professionnel à faire oublier le brouillard d’un mois de novembre pluvieux (mais heureux). 

Plus rien ne les dérange sur ce Parking aux anges. Les trois improvisateurs·trices de ce trio insolite savent manier le jazz contemporain comme l’hypnose la plus amicale. Menée par Elise Dabrowski, enragée à ne pas choisir entre le chant et la contrebasse, Parking laisse de la place à une folle liberté, nourrie d’une voix affranchie des codes du texte, d’une musique profonde et ciselée dans ses reliefs. 

C’est entendu. Paul Celan est moins drôle que Vincent Lagaf. Mais plus profond, aussi. Ses textes, d’une densité redoutable, sont la source de l’interaction fantastique de ce duo. La musique procède des mots, et ces derniers s’entrechoquent dans une partition où les équilibres se jouent de la pesanteur qu’on pourrait imaginer. Le duo violon/voix, fort d’un compagnonnage au long cours, réussit alors un petit miracle de légèreté profonde. Big Deal.

Bini Girmay, sprinteur érythréen sur le dernier Tour de France, avouait être effrayé par le bruit terrible des chutes de ses confrères lancés à pleine allure. L’artisan poitevin de Psylle, lui, n’en a cure. Bien au contraire. Frictions, cognements, frottements fondent la partition de ce solo cycliste. Guitariste, luthier, Mehdi Rigaud joue sur la jante, avec un goût prononcé pour les fabrications singulières. Ses 6 roues amplifiées sont détournées de leur sens commun pour vous faire perdre le vôtre. Liées avec des courroies, ornées d’objets mobiles et sonores, moyeux et rayons offrent une forme concrète et bruitiste, où tout se fabrique à vue, s'active dans une densité fascinante et très vite indescriptible. Une sorte de musique aussi visuelle et ludique qu’un sprint en masse sur le Champ de Mars.

Dans la MALQA family, il y a des conflits, des débats et des embrassades. C’est normal. Toujours passionnant à voir avancer, une petite famille. Encore plus quand elle se compose d’une chanteuse et oudiste israélo-palestinienne et d’un duo électronique noise-drone. Kamilya Jubran, fidèle à une langue d’acier volatile, se joint au duo NOORG, fabricant d’hypnoses de synthèse. Alors dans ces conflits, débats et des embrassades, la musique plane et déraille. C’est normal. Les mots chavirent, les cœurs sautillent. Trio turbulent et apaisant, MALQA saisit alors l’oreille d’une force singulière. Celle d’improviser des paysages musicaux où le rock le plus dur se juxtapose à la musique contemporaine et à l’héritage traditionnel. Le tout bouleversé par ses interprètes, bouleversant pour son auditoire.