Paul Rogers est de la race des très grands. Musicien rebelle, toujours en colère, il poursuit depuis trois décennies un parcours exemplaire, sans jamais la moindre concession, avec une intégrité, une exigence, une sincérité qui forcent le respect.

Son univers, nourri tout autant au free qu’à la musique baroque, folklorique ou au punk le plus crasseux est l’un des plus riche et original qui soit. Un univers sans frontière aucune qui n’aurait pu tolérer d’être limité par l’instrument. Et avant même de commencer à tourner en rond avec la contrebasse, il a décidé, il y a maintenant quelques années, de mettre au placard sa « grand-mère » et de se faire construire cette 7 strings bass, prototype inédit bardé de cordes sympathiques, qu’il ne lâche plus depuis.

S’il excelle toujours aux côtés des plus grands improvisateurs mondiaux, ses prestations en solo relèvent définitivement du grand art et révèlent une magie, un lyrisme et un sens de la dramaturgie dont peu sont capables.

L’ego toujours à sa place, loin de la performance virtuose (et pourtant...), Paul Rogers nous prends par la main et nous emmène dans un ailleurs musical dont on ne revient jamais vraiment indemne.

Jazz en Scènes 2009

HAPPY HOUSE
Groupe fondateur du collectif lillois Circum, Happy House fête cette année son 17ème anniversaire. Pour l’occasion, ils ont décidé de créer un nouveau répertoire, prenant provisoirement ses distances avec l'influence free jazz de la période précédente. Olivier Benoit s'est amusé à prendre le contre-pied de ce qui faisait la personnalité de cet orchestre, en écrivant un répertoire exclusivement mélodique, en apparence simple, mais influencé par le jeu rythmique et le son rock, jouant et se jouant des effets de mélodies mises en boucles (sans machine). Pourtant, le caractère d'Happy House reste le même qu'à ses débuts : dynamique, investi, intense...

DUO LAZRO / PETIT
Activiste, autodidacte et amateur (il a un vrai métier, lui…), Jean-Luc Petit poursuit avec une rigueur passionnée son parcours et continue à multiplier les rencontres. Son souffle puissant, son lyrisme incarné, l’ont conduit depuis quelques années déjà aux côtés des improvisateurs les plus en vue. Kent Carter, Jean-Jacques Avenel, Benjamin Duboc, Didier Lasserre… et aujourd’hui l’immense Daunik Lazro. Connaissant la profonde humilité de ces deux là, aucune compétition à craindre. Simplement la soif d’échanger, de se surprendre, d’explorer de ces deux maîtres souffleurs.

Benjamin Duboc s’est en quelques années imposé comme l’un des bassistes les plus inventifs de l’hexagone. Ce que n’a pas manqué de relever l’excellent label Ayler Records qui s’apprête à sortir un coffret de 3 disques regroupant différents projets actuels du musicien. Le dernier en date étant ce tout nouveau trio qui a choisi le Carré Bleu pour y travailler et enregistrer.
Un nouveau projet dont on ne sait encore rien de la musique, mais qui laisse augurer de biens beaux moments. Magnifiquement entouré par la lumineuse Sophie Agnel et par Christian Pruvost, en passe de révolutionner le petit monde de la trompette (on se souvient de son solo éblouissant chez nous l’an passé), le colosse part à l’exploration de nouvelles contrées musicales sans autre itinéraire que le plaisir de jouer, d’inventer, de partager et la recherche de la beauté, imprévisible, que de tels maestros finissent toujours par croiser. Bref, on y court en toute confiance et on se laisse aller, les yeux fermés, pour une grande leçon de musique.

Depuis ses tous premiers concerts en 2003, Ursus Minor évolue comme une formation à géométrie variable qui ouvre ses portes à qui désire y déposer ses idées, ses sons, ses colères ou ses espoirs. Une plaque tournante des humeurs, des engagements et des doutes de notre époque tout autant qu’une courroie de transmission entre les différentes tendances musicales de notre modernité.

Au titre des nouveaux venus pour ce troisième chapitre de leurs aventures, Mike Scott fait sensation. Remplaçant depuis l’an passé Jeff Lee Johnson, il a multiplié les collaborations prestigieuses. Guitariste attitré de Prince pendant plus de 10 ans, il a accompagné Janet Jackson, Justin Timberlake ou encore Me’Shell Ndegeocello.

Les deux autres guests de ce nouveau projet, activistes politiques aux textes acérés, endossent le rôle d’ambassadeurs d’une parole libérée. Boots Riley, fondateur de The Coup et du Street Sweeper Social Club (avec Tom Morello de Rage Again The Machine) multiplie les prises de positions contre les dérives du gouvernement américain. Desdamona, étoile montante du hip-hop underground, membre de Ill Chemistry, a collaboré avec Sly & Robbie, Black Uhuru ou Saul Williams. Elle a remporté l’award du meilleur artiste « spoken words » cinq fois consécutives...

Entre l’arrivée de ces trois surdoués et le talent protéiforme du noyau dur du combo, nul doute qu’Ursus Minor mette ce soir encore le feu au Carré Bleu et continue à briller encore longtemps au firmament d’un jazz de plus en plus vivant et plus que jamais ouvert au monde qui l’entoure.

À écouter : « I will not take « but » for an answer » (2010, Label Nato-Hope Street).

Pour sa 4ème édition, le festival Make Art, dédié aux logiciels libres et open source, fait le point sur l'art numérique et les musiques électroniques d’aujourd’hui.
Cette année encore, pas d’instruments « traditionnels » mais des distributeurs de bonbons Pez, le bâtiment, le mobilier du Carré Bleu (!), des ordinateurs portables libérés et des micros piezo... Ludique, brut et bruitiste.

MATTIN (laptop, GNU/Linux)
Reni HOFMÜLLER (bâtiment, micros piezo, laptop, GNU/Linux)
Anne LAFORÊT (chargeurs de Pez, laptop, GNU/Linux)

Anne Laforêt, pour qui le net-art n'a plus aucun secret, mène avec le Pez Orchestra une performance sucrée au croisement de la culture geek et du do it yourself.

Avec 15 ans d'agitation artistique sur la scène de Graz à son actif, Reni Hofmüller travaille avec « Playing the building » à partir d'outils technologiques simples, de câbles et d'archets. Mais c'est le bâtiment le principal instrument. Les murs du Carré Bleu n'ont qu'à bien se tenir !

Implanté durablement sur la scène noise et improvisée internationale, Mattin est un hyperactif : plus de 50 disques, des collaborations explosives (Eddie Prevost, Axel Dörner, Tony Conrad...),il est aussi à la tête de plusieurs labels et publie régulièrement des essais sur l’improvisation ou la pratique artistique en général. Les performances de cet activiste anti-copyright sont intenses, sévères et toujours absolument imprévisibles...

Voilà déjà cinq ans que la contrebasse tellurique de Claude Tchamitchian n’avait pas fait vibrer la scène du Carré Bleu. Difficile à croire quand on connaît l’importance de ce musicien sur la scène française, et bien au-delà... De la direction de son grand ensemble Lousadzak au solo absolu, de ses coups de gueule militants (en ouverture d’un concert du Lousadzak au festival du Mans) à ses excès de tendresse assumée (chacune des quatorze pièces de son inoubliable Jeu d’enfants), entre ses racines arméniennes et l’influence du maître Mingus, son lyrisme exacerbé aura profondément marqué l’histoire du jazz hexagonal. Et quelle plus belle occasion de retrouver le grand Claude que ce trio à cordes d’une beauté confondante ?
En compagnie de Guillaume Roy, si discret que l’on pourrait, presque, en oublier qu’il est l’un des plus précieux altistes du moment, et de Vincent Courtois, trublion fantasque du violoncelle, il fait souffler un vent de fraîcheur salvateur sur une formation instrumentale encore trop souvent connotée classique.
En improvisation totale, parés d’une intime confiance, d’une écoute et d’un respect mutuel remarquables, ces trois maestros de l’archet écrivent en temps réel une musique de chambre actuelle, d’une élégance rare, même dans ses dérapages les plus furieux.
 

Voisins de pupitre au sein de la Marmite Infernale de l’ARFI, duettistes inspirés lors de l’édition 2007 du festival NPAI, les deux Eric n’en sont pas à leur premier fait d’armes. Entre le souffleur inépuisable des Fiers Mongols et celui qui en deux disques solos aura boulversé la pratique de la contrebasse (des monuments, toujours disponibles sur le label Orkesme) existe une complicité extrème, quasi fusionnelle. Une complicité qui supporte souvent difficilement l’arrivée d’un nouvel élément. Et pourtant, l’adjonction de Nicolas Lelièvre, batteur magique au style absolument unique, est si heureuse qu’elle donne naissance, plus qu’ un groupe, à une véritable entité sonore.
Ce trio, qui viendra tout juste d’essuyer les plâtres de leur premier concert chez nos voisins du Petit Faucheux après une résidence au Carré Bleu, risque bien d’être la nouvelle sensation forte de la scène improvisée. Leur musique, qui lorgne du côté du free mais marquée par un indiscutable esprit rock, reste pourtant difficile à classer. Monstrueusement puissante, toute en tensions et paroxismes, elle déroule un impressionnant crescendo qui semble ne jamais pouvoir s’arrêter, jusqu’à un climax jubilatoire qui laisse tout le monde, public comme musiciens, exténué, haletant mais magnifiquement rassasié.

À écouter : Eric Brochard : “Solo 1”, “Fractales” - Label Orkesme. Disponibles sur www.orkesme.com
Eric Vagnon : “Quelques Fiers Mongols” 1 et 2 - Grand Wazoo. Disponibles sur http://qfm.free.fr
Nicolas Lelièvre avec Quattrophage : “Travel-Logue” - Label Usine. Disponible chez Les Allumés du Jazz.

Depuis 1979, les Ateliers Musicaux Syrinx proposent des cours individuels ou des ateliers collectifs pour partager, découvrir et apprendre la musique. Trente intervenants, musiciens professionnels et enseignants, encadrent 400 adhérents, amateurs de tous âges, débutants ou confirmés pour une pratique musicale allant du trio de musique de chambre au groupe de hard-rock, en passant par le jazz ou le chant choral.

En quartet, en sextet, en big band, en chœur ou en fanfare, les élèves des ateliers Syrinx et les profs qui les animent font la fête à tous les jazz (swing, bop, jazz rock, funk, soul…) et à leurs cousines latines (salsa, samba, bossa-nova…). Un rendez-vous annuel festif et convivial.

Tout juste un mois avant le Carré Bleu, Iva Bittová joue à New York, au Carneguie Hall... Tout est dit ! L’immense musicienne, chanteuse et actrice tchèque à Poitiers, c’est tout simplement un véritable  événement.
Depuis son sublime duo avec Pavel Fajt en ’87, la diva s’est imposée comme l’une des artistes les plus surprenantes qui soient. Violoniste virtuose, vocaliste étourdissante, c’est surtout une performeuse sans équivalent. La douce folie qui l’anime transcende tous les idiomes, brasse toutes les cultures et subjugue littéralement les publics les plus divers (jusqu’à une mémorable prestation devant Václav Havel, George Bush, Helmut Kohl et Margaret Thatcher...). Rock, jazz, impro, folk, classique... tout passe à la moulinette de son génie pour donner naissance à sa musique à elle, absolument unique, hors norme, bouleversante comme aucune autre. « My personal folk music » comme elle la définit elle-même.
Aux côtés de Fred Frith, Tom Cora, David Krakauer, Bill Frisell, Marc Ribot ou des Ex, devant les caméras de Nicolas Umbert (le monumental Step Across the Border) ou d’Alice Nellis (pour le multi-primé Little Blue Girl), elle promène sa grâce et illumine de sa présence, transformant chacun de ses gestes, chacune de ses notes en un instant magique, comme suspendu.
Mais arrêtons là, le plus exhaustif des dictionnaires de superlatifs n’y suffirait pas... C’est simplement LE concert à voir !

En octobre 2007, le concert du trio Papajo fut l’occasion de découvrir un tromboniste aussi méconnu que sidérant de maîtrise instrumentale et d’inspiration. Un génie de la coulisse dont il fallait absolument suivre le parcours. C’est chose faîte avec cette nouvelle invitation à laquelle il répond avec un line-up des plus prometteurs.
Si l’on retrouve à nouveau à ses côtés l’étourdissant bassiste John Edwards, c’est désormais l’australien de Nantes, Will Guthrie (The Ames Room), qui tient les baguettes. Soit l’assurance d’une rythmique aussi implacable qu’inventive. Et, comme si cela ne suffisait pas, il a décidé de compléter cette formation par l’un des maîtres du saxophone contemporain qui, à l’instar d’un Steve Lacy ou d’un Evan Parker, aura contribué à repousser les limites d’un instrument déjà pourtant largement exploré. Au final, une proposition qui s’avérait impossible à refuser tant elle semblait être promesse d’instants magiques.
Et pour ce qui est du résultat, la surprise reste - fort heureusement - entière, puisqu’il s’agira de leur tout premier concert ensemble. Free, pourquoi pas ? Mais sans doute bien plus encore, chacun des protagonistes ne s’étant jamais contenté d’évoluer uniquement dans cette esthétique qu’ils savent pourtant incarner à la perfection.