Jazz en Scènes, un événement national 
Ce soir encore, c’est la grande nuit des clubs. Dans toute la France, une soixantaine de formations regroupant plus de cent cinquante musiciens participent à un grand festival éclat dans toutes les salles de la Fédération des Scènes de Jazz et de Musiques Improvisées. Une confirmation régionale (le contrebassiste Eric Brochard propose un trio inédit), un groupe soutenu par un autre club (Christophe Rocher et Christopher Bjuström nous sont envoyés par Le Vauban, de Brest) et une tête d’affiche, l’immense saxophoniste Daunik Lazro. 

Calx
Les habitués de Carré Bleu ont pu suivre, depuis 1997, de ses débuts à son épanouissement, le parcours d’Eric Brochard. Pour cette soirée exceptionnelle, nous lui avons demandé de proposer une rencontre inédite avec des musiciens de son choix. Ce qui nous donnera l’occasion de découvrir Jean-Luc Guionnet et Edward Perrault, deux fortes personnalités de la nouvelle génération d’improvisateurs. 

Duo Bjuström – Rocher 
Christophe Rocher est l’un des principaux animateur du « Vauban », l’excellent club de jazz de Brest où est né ce duo, en 197, avec le pianiste suédois Christopher Bjuström (dont les abonnés de la Scène Nationale n’ont pas oublié le ciné-concert sur le Mécano de la « General » de Buster Keaton). Des compositions et des improvisations complices et sensibles, entre jazz et musique de chambre. 

Daunik Lazro Solo 
Daunik Lazro, c’est une voix essentielle du jazz européen, une voix singulière, passionnément sincère, délibérément libertaire, qui ne cesse d’actualiser la quête entreprise par les grands défricheurs que furent Coltrane, Dolphy, Coleman, Taylor, Ayler… Son solo qui vient de faire l’objet d’un superbe album  sur le label Emouvance est un bouleversant concentré d’invention, d’intelligence et d’émotion.

Pour constituer son trio, le guitariste Christophe Limousin s’est appuyé sur une « solide » rythmique, celle des frères Desoyer avec Patrick à la batterie et Pierre-Yves à la basse. Puisant dans les racines du jazz, inspirées par les figures emblématiques de Thelonious Monk ou de John Coltrane (et quelques autres), influencées par les aventures contemporaines de musiciens comme John Abercombie, les compositions de Christophe Limousin et de Patrick Desoyer intègrent une inspiration tout européenne pour une musique résolution improvisée où la complicité et l’écoute tiennent une place essentielle.

Carte blanche au CESMD
Six élèves du CESMD de Poitiers présentent leur travail sur l’approche de l’improvisation libre, réalisé en compagnie du pianiste Jean-Yves Monjauze.

Peeping Tom
Avant tout, précisions liminaires indispensables, non il ne s’agit pas du projet pop de Mike Patton. Pas plus qu’une soirée hommage au splendide film de Michael Powell (Le Voyeur) ou à un titre du Black Market Music de Placebo. Peeping Tom, c’est aussi un trio de jeunes musiciens surdoués qui prend un malin plaisir à revisiter, détourner, recycler, pour finalement réinventer des standards du bebop à la sauce free. Et quelle sauce ! Brûlante, épicée, avec un méchant goût de reviens-y. Une relecture intense, à cent à l’heure et totalement jouissive, des thèmes de Charlie Parker, Monk, Bud Powell ou Gillespie, dopés par une énergie impressionnante, dynamités par un drive imparable. Un œil, respectueux, sur le passé, l’autre rivé loin devant, sur un avenir du jazz plus prometteur que jamais. Une toute jeune formation qui, n’en doutons pas, ne devrait pas tarder à se faire un nom.

Né en 1996, le trio de Marc Ducret s’est imposé comme l’une des formations phares de la scène hexagonale. Une longévité rare qui a permis à ces trois musiciens à la virtuosité hallucinante d’explorer les contrastes et méandres d’une musique singulière, dépassant tous les idiomes (jazz, impro, rock, contemporain...), s’affranchissant de toute référence, pour distiller un langage musical définitivement unique, d’une rare cohérence. Trois disques seulement ponctuent la carrière de ce groupe alors qu’ils ont écumé les scènes du monde entier. C’est donc en concert que tout se construit, comme un véritable laboratoire permanent d’expérimentation, un « work in progress » qui durerait depuis douze ans.
Entre éclats de beauté bouleversants et fulgurances rageuses, d’écritures complexes en improvisations débridées, ils laissent libre cours à une imagination sans entrave et livrent des concerts brûlants, imparables, dont on ne sort jamais indemne.

À écouter : « L’Ombra di Verdi » (1999, Label Screwgun), « Live » et « Live #2 » (2006, autoproductions)

Au même titre que Jeremy Steig, Roland Kirk ou Dolphy, Michel Edelin fait partie des voix essentielles de la flûte. Il a largement contribué à en élargir la palette sonore pour en faire un moyen d’expression original et la hisser au rang d’instrument soliste à part entière. Technicien admirable, son souffle plein de verve, son phrasé charnu et son sens aigu de la mélodie en font un des musiciens les plus cruciaux de la scène française. En compagnie de Byard Lancaster, Steve Potts, Barry Altschul, Jef Sicard ou Steve Lehman, il a exploré tous les méandres du jazz jusqu’à tracer sa propre route, croisant ici les avenues du répertoire, là, les chemins de traverse où s’égaillent toutes les audaces.

Et c’est avec un immense plaisir que nous retrouverons à ses côtés l’une des plus belles sections rythmiques qui soit. Longtemps compagnons de route du grand Steve Lacy, John Betsch et Jean-Jacques Avenel sont deux maîtres incontestés de leurs instruments, deux magnifiques solistes capables de porter au plus haut la délicatesse et le lyrisme de Michel Edelin.

Pour ce splendide quintet, Benjamin Duboc et Didier Lasserre, complices de longue date et d’une totale cohésion, ont convoqué quelques figures majeures du free qui ont fait leurs armes aux côtés des plus grands (Rasul Siddik, membre de l’AACM, a joué avec l’Art Ensemble, Archie Shepp, Sunny Murray ; Itaru Oki avec Steve Lacy, Sam Rivers et Lee Konitz et Makoto Sato avec Don Cherry, Alan Silva, Joe Mc Phee ou Evan Parker...). Ensemble, ils se jettent à corps perdus dans une joute endiablée, avec un art débridé de la connivence, comme une manière de démocratie participative, mais pragmatique et débarrassée de tout discours pontifiant. Du pur free jazz donc, mais sans redite nostalgique, qui n'hésite pas par moments à folâtrer du côté de la musique improvisée. Un total plaisir des sens, presque charnel, pour une musique quasi primale de puissance et de sauvagerie.

À écouter : « Atelier Tampon-Ramier » (2008, Label Sans Bruit).
À télécharger sur www.sansbruit.fr
 

Pour leur toute dernière création, les doux-dingues du Collectif Gonzo ont bricolé une machine improbable, mi-humaine, mi-mécanique et dont ils se sont empressés de perdre le mode d’emploi. Composée, de bric et de broc, d’un moteur-batterie générateur de battements immuables (sauf problème) et à deux temps (sauf...), d’une soufflerie à trois cylindres-saxophones pour le refroidissement, d’un centre de commandes à deux claviers et d’un processeur à cordes vocales, son fonctionnement reste aléatoire et ce malgré toute la haute technologie embarquée. Quant à savoir à quoi tout cela va servir... : « étudier le comportement humain, en établissant une analogie entre le fonctionnement du corps et celui d’un appareil électro-mécanique, ou entre le dipôle homme / femme et les pôles + / - d’un générateur électrique »...
Qu’arrive-t’il quand on connecte les deux directement ? Quand un électron rencontre une électrone ? Quand on place un obstacle dans la liaison ? Le courant passe-t’il ? Est-on sur la même longueur d’ondes ?
 

Peter Orins
Batteur dans de nombreuses formations au sein du collectif Circum, son projet solo allie les sons acoustiques et l’électronique via le logiciel libre Pure Data. Une expérience de déstructuration rythmique passionnante qui trouve un écho particulier dans les sons électroniques générés à travers les éléments acoustiques.

Christian Pruvost
Dans un jeu tout acoustique, il développe un discours très sereinement, appuyé par quelques objets qui lui confèrent une richesse de timbres supplémentaire. L’originalité de sa démarche artistique l’a déjà amené à se produire aux côtés d’Anthony Pateras, Tony Buck, John Edwards, Cor Fuhler ou Jérôme Noetinger.

Les Cannibales
Nourris d'idiomes variés (jazz, musiques contemporaines, baroques, trad), les Cannibales produisent une musique singulière, riche en timbres rares et en mélodies imparables chahutées par un goût prononcé pour l'expérimentation sonore.

À 70 ans passés, Fred Van Hove aura vécu et accompagné toute l’histoire de la free musique européenne. Présent dès ’68 au sein de l’anthologique Machine Gun octet de Peter Brötzmann, il n’a cessé depuis de bouleverser en profondeur l’approche du piano. Contrairement à bon nombre de ses contemporains, il s’est toujours cantonné à n’en explorer que le clavier qui lui offrait un espace de jeu largement suffisant pour ne pas avoir à mettre le nez à l’intérieur de l’instrument. Une approche éminemment « classique » donc, qui ne l’aura en rien empêché de développer un univers unique, à proprement parler inouï. Particulièrement puissante et tendue, sa musique reste pourtant totalement aérienne et transpire la sensibilité, la poésie, bien plus qu’une technique ou une virtuosité pourtant rarement égalées.
Et à un âge où bien d’autres se cantonnent trop souvent à entretenir un répertoire convenu ou figé, le grand Fred continue lui à faire avancer les choses, à se et à nous surprendre, à chercher, chercher encore et à trouver, immanquablement, les chemins de la beauté.

À écouter : « Journey » (Label PSI - 2008) - Disponible chez Improjazz

Voilà bientôt vingt ans que ce trio existe, ce qui ne l’empêche pas de rester désespérément méconnu en France. Pourtant, ceux qui ont eu la chance d’assister à l’un de leurs concerts sont unanimes, il s’agit sans doute de l’une des plus passionnantes formations en exercice. Michiel Braam est une espèce d’érudit qui aurait digéré toute l’histoire du piano jazz. Il pratique un jeu virtuose à la fois très personnel et savamment nourri de toutes ces références, un peu à la manière d’un Jaki Byard ou d’un Martial Solal déjanté. Wilbert De Joode, bassiste totalement hypnotisant, dégage une apparente facilité et un plaisir de jouer fascinants. Quant à Michael Vatcher, entendu au sein notamment de Four Walls, il développe un jeu de construction / déconstruction avec un sens de l’accident qui ne faiblit jamais.
Partant d’une mélodie de base presque simpliste, le trio brode des canevas baroques, laisse libre cours à une imagination débridée, pour construire petit à petit un discours éminemment plus complexe que le thème de départ. Ainsi, au fil des arrangements et de bribes de standards refondues, la musique semble tracer une ligne continue, mais souvent loin d’être droite, de Jelly Roll Morton à Cecyl Taylor en passant par le souvenir d’Ellington, Monk et Tristano. Inclassable, drôle et parfaitement enthousiasmant !

À écouter : « Change this Song »  (Label BBB8 - 2006)- Disponible chez Improjazz