Si Abdelhaï Bennani aura attendu d’avoir trente ans pour se consacrer au saxophone et au jazz, il n’en reste pas moins nourri par les rythmes traditionnels qui ont bercé son enfance marocaine. Et c’est tout naturellement que la tradition de la transmission orale de sa culture d’origine le conduit à fuir la partition écrite pour s’investir dans l’improvisation.     
En 1998, trait d’union entre les souvenirs de ses premières années à Fès et les rencontres musicales qu’il a pu faire depuis, il créé le quartet « Enfance » avec Alan Silva, Makoto Sato et Itaru Oki. Une formation somptueuse qui portera haut et fort, en France et dans le monde, les couleurs d’un free jazz d’aujourd’hui, teinté des origines diverses (Maroc, Bermudes, Japon) de ses protagonistes.
Treize années plus tard, plus international que jamais, le quartet renaît sous le nom de Childhood.
Mêmes partenaires (Alan Silva joue aujourd’hui, comme depuis quelques années déjà, du synthétiseur, mais reste célèbre pour avoir promené sa contrebasse aux côtés d’Albert Ayler, Sun Ra, Archie Shepp, Cecil Taylor...), même plaisir de jouer chez ces quatre monuments du jazz sur qui les années semblent glisser. Le goût du partage, le sens du lyrisme, la technique confondante... tout est plus que jamais encore là pour continuer à écrire quelques-unes des plus belles pages d’une musique qui n’en finit pas de se renouveler.

À écouter : « Enfance » - 1998 - Label Marge.

CHARLENE MARTIN TRIO,
« MY FAVORITE SONGS »

Au fil des années, des rencontres, des découvertes musicales, Charlène Martin s’est constituée toute une collection d’objets sonores, de chansons, bribes, comptines... qu’elle a amassé dans son petit musée personnel. Un véritable cabinet de curiosités dans lequel elle a décidé de piocher pour cette nouvelle création, ses « favorite songs », qui l’ont marquée depuis son adolescence.
David Bowie, Jimmy Hendrix, Louis Amstrong, Kurt Weil, ses « tubes », ses thèmes fétiches... autant de pépites musicales qu’elle revisite, triture, détourne, pour mieux se les réapproprier. Portée par le groove imparable, résolument teinté de pop-rock, que distillent Éric Groleau et Julien Padovani, baignée dans l’univers lumineux onirique de William Lambert, Charlène nous fait son tour de chant à elle, entre hommages plus ou moins fidèles et prétextes aux improvisations les plus délurées.
« My Favorite Songs » est soutenu par la DRAC et la Région Poitou-Charentes.

MAFALPA

En partenariat avec MUZZIX (Lille)
Issu du formidable vivier lillois, MaFalPa est un trio « électroglottique » de choc, rompu aux champs de foire, aux salles de bal, comme aux événements musicaux les plus créatifs... Mêlant voix, objets divers et électronique, ces trois terroristes du parquet de danse se lancent dans les explorations les plus loufoques, entre cartoons et poésie sonique, cris et chuchotements, gargarismes et décollement de palais. Aussi improbable que jouissif...

Voilà déjà quelques années que nous attendions Agustí Fernandez à Poitiers. En fait depuis 2005, lors de sa découverte au festival Jazz à Mulhouse (encore...) au sein du Barry Guy New Orchestra. Du monstrueux magma sonore déroulé par cette formation superlative émergeait un piano comme on en avait rarement entendu. Une découverte pour une bonne partie du public alors que le maestro n’en était pas à ses premiers faits d’armes. Derek Bailey, Evan Parker, Peter Kowald, Tom Cora et bien d’autres encore avaient déjà croisé le fer avec l’espagnol...
Et quelle plus belle occasion de le faire goûter aux oreilles poitevines que son tout nouveau trio avec Mats Gustafsson et Peter Evans ?
Si Mats Gustafsson, véritable tortionnaire d’anches (elles résistent rarement plus de quelques minutes aux assauts de son souffle brutal), n’est déjà plus à présenter (The Thing, Sonore aux côtés de Vandermark le frère d’arme et Brötzmann le père spirituel...), ceux qui ont raté en mars dernier la prestation de Peter Evans au Carré Bleu ont encore la chance de découvrir un véritable phénomène qui, à à peine trente ans, a déjà à sa manière révolutionné la pratique de la trompette.
Soit, au final, largement de quoi nous laisser penser qu’on tient peut-être là un des concerts de l’année...

Le hasard des calendriers... Il aura fallu attendre 8 ans avant de revoir enfin Simon Goubert à Poitiers. Et, comme pour rattraper le temps perdu, c’est avec un certain plaisir que nous pourrons le retrouver une seconde fois sur ce trimestre. De quoi permettre à ceux qui ne le connaissent pas encore de découvrir la puissance de feu d’un des batteurs les plus indispensables de la scène jazz française. Un maître du tempo dont le jeu exemplaire a su convaincre quelques géants comme Joachim Kühn, Dave Liebman, Mal Waldron, James Carter ou Lee Konitz...
Histoire de partir sur des bases solides (on ne rigole pas dans la tradition du jazz avec la formule historique du trio sax / basse / batterie !), pour ce nouveau projet, François Corneloup s’est assuré d’une section rythmique aussi indéfectible qu’inventive en convoquant à leurs côtés la flamboyante Hélène Labarrière. De quoi largement laisser s’épanouir toute la palette sonore d’un saxophoniste qui n’en finit plus d’étonner, jusqu’outre-atlantique...
Un nouveau répertoire sombrement lumineux dont l’écriture, aussi minutieuse soit-elle, n’est qu’autant d’ouvertures aux dérives improvisées les plus enflammées.

À écouter : « Noir Lumière (2010) - Label Innacor. Disponible aux Mondes du Disque.
 

CINC

Si l’on a pu craindre à ses débuts que Ken Vandermark ne soit qu’un imitateur de plus de quelques glorieux aînés (Brötzmann en tête), il aura vite fallu se raviser tant il n’a depuis cessé de surprendre par un langage original et toujours renouvelé. Adoubé par ses illustres pairs, il navigue aujourd’hui sans complexe aux côtés de quelques sommités de l’improvisation, dont font naturellement partie Paul Lytton et Phil Wachsmann. Membre du monumental trio historique d’Evan Parker (avec Barry Guy), Lytton reste considéré comme l’un des plus grands batteurs actuellement en activité. Phil Wachsmann excelle lui, depuis la fin des années ’60, aussi bien dans la musique contemporaine, électro-acoustique, que dans le jazz le plus débridé.
Si le saxophoniste de Chicago participe à l’heure actuelle à plus d’une quarantaine de projets différents (!), ce trio est certainement la formation dans laquelle on réalise le mieux à quel point celui qui reste encore trop souvent uniquement considéré comme un souffleur surpuissant peut aussi faire preuve de la plus grande délicatesse.

À écouter  : « CINC » (2006) - Label Okka - disponible chez Improjazz.
 

Quand, au tout début des années ’60, Bernard Prouteau faisait découvrir Charlie Parker au jeune Jef Sicard, il devait être loin de se douter de la carrière qui attendait alors cet interne du lycée de Montmorillon... Pourtant, rares auront été en France ceux qui ont su aussi bien perpétuer la mémoire du Bird.
Cinquante ans plus tard, Jef ne s’est pas beaucoup assagi et si son jazz s’est depuis coloré des senteurs épicées des contrées qu’il a visitées, il n’a rien perdu de l’esprit libertaire qui l’animait à ses débuts.
À la tête de ce nouveau quartet de haute volée, propulsé par une rythmique magique, le saxophoniste invoque ses pères, Ornette, Dolphy, et réinvente, comme il le fait depuis toujours, un jazz du présent plus brûlant que jamais, entre tendresse et éclats de colère. Avec à ses côtés, comme son Don Cherry à lui, un Rasul Siddik qui multiplie les éclairs de génie cuivrés, il perpétue l’histoire de cette Great Black Music, plus vivante que jamais et qui se sera décidément ouverte à tout, jusqu’aux musiciens les plus français et les plus « blancs » qui soient... De Chicago à Montmorillon !

Le trio Apollo s’est constitué en 1991 sur des choix musicaux qu’il n’a cessé de servir depuis : goût de la mélodie et priorité à la dimension acoustique de la musique. La formation trompette, saxophone alto et trombone, est servie par des musiciens pour qui le sens de l’improvisation et l’équilibre des dynamiques ne fait pas oublier la force des racines, appartenance à l’ARFI oblige...
Tour à tour volubiles, fantasques, graves, chaleureux, du tutti le plus ténu au silence le plus hot, sax, trompette et trombone donnent l’impression de jouer a cappella. Leurs mélodies subtilement arrangées, leurs contrepoints, leurs canons ouvrent le champ à des improvisations en deçà des styles, qui touchent par la clarté de l’intention et la force de l’expression.
Le souffle jamais court, ces trois artisans de l’âge du cuivre propulsent en orbite des pépites musicales éblouissantes de lyrisme, d’humour et d’élégance.

À écouter : ”Adieu les Filles” (2007) - Label ARFI - Disponible aux Mondes du Disque.

Pour son nouveau projet (enfin !), Jean-Yves Monjauze aurait pu annoncer une autre couleur... Un blanc de saison, un vert plein d’espoir, quelques notes bleues... Mais non, pour ces quatre hommes en colère, esprits retors qui refusent de se soumettre aux diktats d’une époque tendance sombre, le noir seyait mieux au propos. Noire comme leur colère, noir comme l’avenir d’un certain nombre de musiciens qui comme eux refusent de se fondre dans le moule, ou noire, « black » donc, comme cette Great Music américaine dont ils ont su s’abreuver pour mieux nourrir leur discours personnel.
Tout en excès - d’énergie, de lyrisme, de technique, de générosité - ils organisent la résistance et se jettent dans un corps à corps musical, comme une lutte acharnée contre l’uniformisation ambiante, fomentent les attentats sonores les plus explosifs, laissent monter leur courroux dans le bruit et la fureur, jusqu’à l’épuisement, jusqu’au retour à une certaine accalmie silencieuse... qui ne saurait durer...
Une musique toute en contrastes, plutôt free-bruitiste s’il faut préciser, mais qui s’assume jusque dans ses dérives les plus mélodiques.

Avec ce concert, nous fêterons la treizième venue de Michel Doneda au Carré Bleu. Une fidélité indéfectible pour ce pilier de la scène improvisée internationale, capable avec son seul soprano de percer le mur du son d’un big band monumental réuni autour des The Ex ou de survoler le magma bruitiste d’Erik M et Jean Marc Montera. Une colonne d’air en acier trempé qui sait aussi jouer à merveille avec le silence, les souffles les plus ténus. C’est plutôt le cas ici, dans ce quartet inédit dont on se gardera bien d’expliquer la signification du nom pour n’en retenir que le plaisir d’y retrouver Didier Lasserre, batteur lunaire et funambule des toms, Mathias Pontevia que l’on avait pas vu étaler sa batterie horizontale à Poitiers depuis quelques années et l’un des musiciens les plus singuliers de la « nouvelle » génération, Mathias Forge et son trombone abstrait.
Une musique de recueillement, introspective, qui ne brasse pas d’air mais travaille à sa circulation pour mieux le rendre palpable et laisser le silence émerger, comme en relief, écrin délicat d’une fourmilière de sons grouillant dans un espace qui ne semble plus avoir de frontières. Comme des miettes semées dans une plaine, peut-être... ?

1ère partie : Atelier du CESMD
Après, entre autres, Olivier Benoit ou Claire Bergerault, le CESMD Poitou-Charentes invite cette saison Jean-Marc Montera pour un stage sur la pratique de l’improvisation libre. Sous sa « direction », une vingtaine d’étudiants livre ce soir le résultat des ateliers menés autour de l’exploitation des sons du quotidien ou de l’utilisation des partitions graphiques.

2ème partie : Jean-Marc MONTERA - Fanny Paccoud
Entre ses activités de musicien et la co-direction, depuis ’78 à Marseille, du GRIM - haut lieu des musiques créatives en France - Jean-Marc Montera est un infatigable semeur de troubles musicaux. Rompu aux bras de fer électrisants avec la fine fleur d’un rock plutôt noisy (Sonic Youth, Fred Frith, Erik M, Pauvros, Akchoté...), il cultive aussi un goût certain pour la musique classique, baroque notamment, qu’il aime confronter à l’improvisation. On le retrouve donc ici en compagnie de Fanny Paccoud, violoniste et altiste de choc qui, à son instar, navigue entre musique de chambre, contemporain et incursions régulières dans la sphère jazzistique.
La rencontre de deux univers que l’on peut retrouver sur « 13 Impros », un disque (vinyle !) dont ils fêteront ici la sortie toute fraîche sur le propre label du GRIM.

À écouter : "13 Impros" (Label GRIM Musiques, 2012).