Deux soirées colossales vont se succéder au Théâtre - Scène Nationale de Poitiers ce lundi 19 et ce mardi 20. La première, proposée par Jazz à Poitiers réunit sur la même affiche les deux big-bands les plus novateurs et les plus décapants de la scène européenne du jazz actuel.
La seconde, proposée par "Oui, avec plaisir" rassemble les tambourinaires sénégalais de Doudou N’Diaye Rose et les bagadous breton de Men Ha Tan. L’enfer !

Le Grand Lousadzak
Claude Tchamitchian a réussi un tour de force : écrire une suite rigoureusement architecturée destinée à être jouée par treize musiciens qui comptent parmi les meilleurs improvisateurs de la scène française. La « Bassma Suite », dédiée au peintre d’origine arménienne Henri Bassmadjian, rend hommage à son primitivisme savant, à la violence de ses couleurs et aux fulgurances rageuses de son trait. Cela donne une musique faite de matières éruptives qui jaillissent et s’assemblent en puissants reliefs, de tonalités intenses qui explosent et se superposent en contrastes irisés, d’énergies profonds qui se tendent et s’épanouissent en impétueux épanchements de liberté. 

Willem Breuker Kollektief
Pour les jeunes qui n’ont pas encore eu la chance d’assister à un concert du Kollektief (les plus âgés n’ont aucune excuse puisque depuis sa création en 73, il est venu 2 ou 3 fois sur Poitiers), il leur suffit d’imaginer une fanfare en goguette jouant des valses et des tangos dstroy, Kurt Weill ou Hans Eisler saisis par les démons du mélo sirupeux, les collégiens de Ray Ventura exécutant un opéra de Mozart, le big band d’Artie Shaw dérapant dans une impro totalement free, Wagner écrivant la bande sonore d’un film de Tex Avery… Iconoclaste, irrésistible, l’humour de Willem Breuker remet la musique à sa place : dans les oreilles de tous. Rien ne lui échappe des musiques populaires, à commencer par le jazz et son siècle d’histoire, et pas grand chose des musiques dites savantes.

Pour commencer cette nouvelle saison : dix musiciens embrasent la nuit avec une musique de fête. Musique des rues de Cuba et de Porto Rico, des plages de Floride et des quartiers latinos de New-York… Musique de danses enfiévrées : mambo, calypso, rumba, conga, son, baïon, cha-cha-cha, et cætera… Dans les crépitements endiablés des timbales et des claves, des bongos et des guiros, des tumbas, des campanas et des macaras… La salsa, quoi !

Comment terminer  ce siècle sans rendre un hommage au jazz des origines, cette musique qui est née avec lui et par laquelle un peuple opprimé se libérait ? Un hommage vivant et joyeux, pas la cérémonie navrante et radoteuse des embaumeurs intégristes de la tradition. La New Orleans Society a retrouvé le plaisir de l’improvisation collective, des duels malicieux, des contrechants spirituels et des solos éperdus qui n’hésitent pas à se jeter dans le free le plus actuel. Car cette histoire-là ne s’est jamais arrêtée.

Il a attendu 55 balais pour se décider à monter son premier groupe, avec trois jeunots dont on n’a pas fini d’entendre parler.
Généreux et fidèle, ce « zhivaro » ajoute à ses thèmes des thèmes de ses invités et de ses potes chez lesquels il  a joué : Kassap Dunlop, Daniel Humair, Paul Motian, Han Bennink, Pete « La Roca », Bob Moses, Roy Haynes, et aussi Baby Dodds, Jo Jones ou Max Roach… Une leçon de swing, dans la clarté, la subtilité et l’intelligence de la batterie.

Dans le trio de Steve Lacy, Jean-Jacques Avenel avait délaissé un instant sa contrebasse pour la sanza, révélant au public de Carré Bleu sa passion pour la musique africaine. Dans ce trio africain, il immerge totalement son jeu somptueux de contrebasse dans la musique mandingue avec deux maîtres africains de la cora et du balafon, Yakouba Sissoko, né en Gambie et passé par le Ballet National du Sénégal, et Lansiné Kouyaté, malien qu’on a plus souvent entendu auprès de Salif Keita ou de Mory Kanté. Ce qui se passe alors est de l’ordre de la magie.

Un peu de trois mille secondes de chaleur et de soleil, de soif et de moiteur, de baignade et de sieste, d’éclats de rires et de farniente, de java avec les anciens et de tube de l’été avec les jeunes. C’est l’été. C’est relax et c’est joyeux. C’est bleu comme le ciel et brillant comme le soleil. 

Yves Robert est un incorrigible raconteur d’histoires, courtes, longues, belles, drôles… Et s’il a choisi de composer une suite sur l’été, c’est pour avoir des choses à raconter, des sujets de conversation à proposer à ses complices, chaque morceau évoquant des choses plutôt joyeuses, agréables, et surtout très sensuelles :  Y tient bien le hamac ?, Dégoulinant d’enthousiasme, Où j’ai mis mon maillot ? Chaud mais soif, Le Souffle de la caresse…, sont autant de prétextes à des improvisations ludiques, lyriques et jubilatoires. Une suite musicale « sensorielle » qui sent le pastis et la crème solaire…

A soixante ans, Charles Gayle reste un créateur original et inclassable. Il a suivi les cours de Mingus à Buffalo, participé aux premières manifestations de la new-thing. On a pu l’entendre auprès de Cecil Taylor, Sunny Murray ou John Tchicai en concert, seul dans les rues et les couloirs du mùétro de New-York ou dans les soirées de la Knitting Factory. Il vit dans un squatt et il lui arrive de monter sur scène en haillons de clodo et maquillé en clown. Sa musique violente faut rugis les graves du saxophone pour s’envoler vers des sifflements suraigus dans un phrasé haletant, déchiré… Bouleversant.

Frank Zappa aimait le rythme, le blues et le rythm’n blues, Igor et Edgar (Stravinsky et Varèse), le rock et la pop, le jazz free et Hendrix Jimi… Les joyeux facteurs du NRO aiment le visionnaire hirsute et underground qui fut le père des Mothers of Invention. Ils ont décidé d’en être les fils et de lui rendre un pieu hommage théâtralo-musical ludique et jouissif, la dérision, la folie, habitent l’écriture, le jeu, les gags et les happenings les plus saugrenus.

Une chanteuse et percussionniste d’origine kurde maîtrisant parfaitement la musique traditionnelle turque, un guitariste (devenu spécialiste de « oud », cet instrument turque) et un violoniste, tous les deux venus du jazz, ont orchestré la rencontre entre deux univers musicaux qui se nourrissent l’un de l’autre pour réussir une passionnante fusion. Avant le concert, les membres du Trio Ottoman donneront une conférence consacrée aux modes mélodiques et aux cycles rythmiques de la musique traditionnelle turque.

Ce trio au groove irrésistible s’est formé lors d’un workshop de Claude Tchamitchian. Le saxophoniste enseigne et pratique les musiques contemporaines, traditionnelles et improvisées. Le guitariste, nomade jusqu’à 12 ans et autodidacte dès l’âge de 6 ans, enseigne et élabore de nouveaux instruments (ateliers KOPO, Fred Pons…). Le batteur réunionnais, démonstrateur/performeur pour Sonor, travaille sur la complémentarité sample/accoustique. Le plus âgé a 30 ans mais leur  musique, qui laisse la plus grande part à l’improvisation, fait preuve d’une inventivité pétulante et d’une allégresse communicative.