Chaque année, l’indispensable festival Jazz à Mulhouse nous apporte son lot de bonheurs, de surprises, de découvertes. Il en était encore ainsi lors de l’édition 2006 qui fut pour le public l’occasion de découvrir un formidable musicien australien. Aux côtés des incontournables Tony Buck et Johannes Bauer, un jeune contrebassiste, nullement impressionné, s’imposait sans complexe et sans conteste comme la révélation du moment. Un son magnifique, une virtuosité et un sens de l’à-propos rares qui ont presque éclipsé la performance de ses deux compères. C’est donc un réel plaisir que d’accueillir à Poitiers Clayton Thomas, qui retrouvera pour l’occasion deux compatriotes exilés en France, Deborah Lennie-Bisson, comédienne, multi-instrumentiste et avant tout admirable vocaliste et le génial Will Guthrie que l’on a pu écouter en décembre dernier au sein du trio « Dans mon garage ».

Les Niou Bardophones invitent Jean-Luc Cappozzo
Loin des clichés du bagad bretonnant, loin des tentatives trad-fusion plus ou moins heureuses des Denez Prigent, Alan Stivell et autre Didier Squiban, les Niou Bardophones (biNIOU, bomBARDE et saxOPHONE) et leur « musique traditionnelle imaginée » révolutionne le petit monde des sonneurs armoricains et imposent leur identité musicale mâtinée de jazz free, d’improvisation, de flamenco, voire d’une touche de trash.
Considérant la musique traditionnelle comme leur origine culturelle, comme une forme d’inconscient, plutôt qu’une source d’inspiration, ils dépoussièrent avec une rare audace le patrimoine celtique, l’ouvrent à toutes les influences et bouclent la boucle quand, au cours de leurs concerts, ils revisitent le « Love Cry » d’Albert Ayler, lui aussi joueur de cornemuse à ses heures.
Rien d’étonnant donc à ce qu’ils invitent sur scène l’immense Jean-Luc Cappozzo, dont l’humanité, l’inspiration et le lyrisme sont toujours un véritable régal pour les oreilles.

"Slogan"
C’est concis, c’est vite dit mais bien dit, ça se moque, ça rassemble, ça se retient, ça se gueule comme une vraie révolte, ça ne règle rien, ça a l’espoir d’être entendu, ça se répète à satiété, ça parle de l’ici et maintenant qui arrivera demain, à coup sûr…
Par ces mots d’ordre et de désordre commence la manifestation des utopies collectives. La créativité littéraire et plastique des slogans et leur irrévérence formelle sont un modèle provocateur pour inventer des musiques et la façon de les traiter, de les entourer, d’en créer les contextes sonores et imagés.
Le Workshop de Lyon est né en 1967.
Son histoire est contemporaine de toutes les luttes de «  libération », sociale, sexuelle, contre-cuturelle, écologique. Trente ans qu’ils jouent ensemble et qu’ils font partager le plaisir qu’ils y prennent. Il y a là comme la mise en œuvre d’une utopie qu’on se garderait obstinément de réaliser. Ce qui est peut-être le vrai travail des utopistes : alimenter le rêve pour qu’il ne meure jamais, le nourrir de tout et de rien, de l’air du temps, des passions égoïstes et des peurs collectives qui font trembler la planète, des plaisirs éphémères comme des révoltes tenaces.

Un solo de Lê Quan Ninh, ça n’est pas tout à fait un concert comme les autres. Presque plus un instant de grâce, de beauté à l’état pur durant lequel on a l’impression d’accéder à l’essence même de la musique.
A l’aveugle, difficile de dire combien de musiciens produisent ces sons, sur quels instruments et de quelle manière. Pourtant, lorsque l’on ouvre les yeux, le dispositif est on ne peut plus réduit. Une simple grosse caisse, posée à plat, sur laquelle il racle, frappe, frotte, caresse quelques ustensiles (bols, galets, branches, cymbales, polystyrène, pommes de pin…), deux, trois mailloches et baguettes et rien d’autre. Rien d’autre, si ce n’est l’immense talent le génie de Ninh et la gestuelle fascinante, féline, presque une chorégraphie, avec laquelle il exécute ses mouvements. Un moment d’écoute vertigineux qui marque à jamais.

Après avoir revisité, déconstruit, saboté et, au final, réinventé la Drum‘n Bass, Edward Perraud et Fred Galiay poursuivent leurs aventures en s’attaquant cette fois à la Pop Music. Avec le renfort de Daniel Erdmann, ils nous livrent leur vision, forcément déjantée, de ce que pourrait (et devrait !) être la musique Pop. Quelque part (mais où donc?!) entre Tom Waits et Mike Patton, mélangeant allégrement Heavy Metal du plus pur mauvais goût et Tango bancal, ils explosent tous les canons du genre et imposent sans le moindre complexe leur Free-varièt’ hallucinée.
Big, c’est sûr, c’est énorme !!

Jazz en scènes, un événement national
Pour ce grand festival éclaté dans toute la France, plus de cent cinquante musiciens investissent les salles de la Fédération des Scènes de Jazz et de Musiques Improvisées.

Dans Mon Garage 
On aurait pu se contenter d’y entreposer voitures, tondeuses, outils divers... Mais non, peu à peu, le garage s’est imposé comme un lieu de naissance privilégié pour la création. Après le « Rock-garage », les  vins de garage , voici donc le Free-garage !
Quittant un moment leur local de répétition de prédilection, ces trois bricoleurs énervés viennent enflammer la scène du Carré Bleu. Une musique libre, viscérale, profondément ancrée dans l’héritage des défricheurs des années 60, qui sera l’occasion pour nous de découvrir Will Guthrie, jeune batteur prodige récemment installé en France et issu d’une scène improvisée australienne encore peu connue par chez nous mais particulièrement féconde.

Abdelhaï Bennani trio 
Encore bien trop rare sur les scènes hexagonales, Abdou Bennani est pourtant l’une des voix majeures du saxophone contemporain. Un son magnifique, charnu, digne des grands  du ténor (Rollins, Coltrane, Shepp...), qui semble ici avoir trouvé l’accord parfait avec cette rythmique qui s’impose comme l’une des plus inventives du moment. Porté par les percussions aériennes de Didier Lasserre et la basse tellurique de Benjamin Duboc, il nous emmène dans des univers sonores rares qui, s’ils sont empreints d’une certaine tendance au minimalisme, restent généreusement chahutés par une irrépressible fougue impétueuse.

Activiste forcené de la scène improvisée (il est membre du collectif Metamkine et une des chevilles ouvrières de l’indispensable mensuel Revue & Corrigée), Jérôme Noetinger est avant tout un formidable musicien. Il est l’instigateur de ce trio hors norme qui réunit à ses côtés le platiniste-bruitiste eRikm, véritable extra-terrestre de l’électronique qui a collaboré avec Voice Crack, Luc Ferrari, Christian Marclay ou Akosh S, et un Michel Doneda définitivement impérial.
Entre bruissements et déflagrations, éruptions corrosives et fulgurances poétiques, une musique des extrêmes à écouter avec le corps.

Ce quartet est né le 10 mars 2007, lors de la soirée « Merci Bernard » organisée au Carré Bleu. Parmi tous les musiciens invités à cette occasion, ces quatre-là décidèrent de mêler leurs voix pour rendre hommage à leur manière à l’ami Bernard Prouteau. Une rencontre au sommet entre deux figures historiques du free jazz et deux surdoués de la jeune génération. Et la musique était là, d’une beauté imparable, comme une évidence, comme s’ils jouaient ensemble depuis toujours. Spontanéité et humanité de la parole, goût prononcé pour les effusions lyriques et le jazz le plus libre, tout cela semblait s'accorder, comme par une sorte de miracle. Mais, soyons clairs, ici pas de miracle. Juste quatre personnalités, fortes, libérées, engagées qui travaillent toutes à la même chose, construire une musique de l'instant, vivante, animée, palpitante, taillée dans la chair du langage, passant de la plus exquise délicatesse à une violence exacerbée.
Le public était conquis, les musiciens ravis, l’aventure ne pouvait que continuer.

Attention, événement ! Quand LA plus grande contrebassiste du monde rencontre LE plus grand tromboniste du monde (mais oui !), il faut forcément s’attendre à vivre un moment rare.
Faut-il encore présenter Joëlle Léandre ? La diva de la contrebasse a collaboré avec les plus grands (Cage, Scelsi, Boulez, Braxton, Lacy, Frith....), enregistré plus d’une centaine de disques et s’est imposée, entre coups de gueule et éclats de rire, comme l’une des artistes les plus essentielles de toute l’histoire des musiques créatives.
Improvisateur, compositeur, concepteur d’installations multimédias, diplômé de philosophie, Georges Lewis est un touche-à-tout de génie qui a révolutionné la technique du trombone moderne. Membre de l’AACM, il a joué notamment avec Count Basie, Dave Holland, Michel Portal, Joachim Kühn, David Murray ou John Zorn.
La réunion de ces deux monstres sacrés c’est la promesse d’instants magiques, inoubliables, à ne manquer sous aucun prétexte !

À tous ceux qui commençaient à penser que le colosse de Wüppertal s’était assagi avec les années, Peter Brötzmann apporte un démenti tonitruant. Plus en colère que jamais, il nous revient entouré d’une power-rythmique enragée, à l’énergie toute rock’n roll.
Figure emblématique du jazz le plus libre, il n’a jamais caché son goût immodéré pour les expériences plus électriques (on se souvient du monstrueux Last Exit avec Bill Laswell et Sonny Sharrock). Pour donner libre cours à cette fougue féroce qui ne l’a jamais quitté depuis près de 40 ans, il s’est adjoint les services de deux solides gaillards rompus aux excès noise les plus extrêmes (ils sont membres, entre autres, d’Alboth ! ou de KK. Null...). Pliakas et Wertmüller construisent ainsi un véritable mur du son capable de résister aux coups de boutoir du saxophoniste-bulldozer, portant jusqu’à son paroxysme une musique ultime, jouissive, d’une beauté imparable.